Manuscrit de PEAN et ROUSSEAU

Parce que les aléas de l'histoire ont provoqué la démolition volontaire du bâtiment conventuel, ainsi que des manuscrits rliés à son histoire au-cours des ciècles, le témoignage direct qu'en apportent Gentien PEAN, Magistrat à Blois, et de son neveu Auguste ROUSSEAU, Notaire à Marchenoir,  sur les dernières années de l'Abbaye Notre-Dame de l'Aumône, l'expulsion des Moines cisterciens par la Révolutiono, la vente de l'Abbaye au titre des "biens nationaux" et la distruction du bâtiment conventuel pour transformer les pierres en chaux est d'autant plus précieux que rare !. Artiste, PEAN nous a également légué la représentation graphique du monument avant sa disparition 

Ils sont les contemporains de Napoléon Bonaparte et de Chateaubriand ; si l'Empereur et le grand écrivain furent les acteurs dont l'histoire a retenu les noms, ils ont comme eux assisté à la fin d'un monde millénaire et à la naissance d'une nouvelle ère, et furent les témoins des déchirements qu'elle provoqua.

Hommes d'ordre et de loi, ils étaient passionnés par l'histoire de la ville et de la région où ils vivaient et nous ont légué un manuscrit précieux où ils compilent l'histoire des lieux et des monuments qui les entourent. Ils étaient passionnés par la vénérable Abbaye cistercienne "Notre-Dame de l'Aumone", leur proche voisine, élevée en 1121, qui faisait partie de leur existence. Ils ont vu les moines expulsés par la Révolution, le bien vendu aux enchères en tant que "bien national" et racheté par des "rapaces" assoiffés d'argent qui l'ont détruit pour vendre les pierres réduites en chaux sur place et s'enrichir.

Cette folie destructrice embrasa tout le territoire national, et détruisit maints et et maints de nos monuments les plus précieux, comme l'Abbaye de Cluny, enlevés à tout jamais à l'admiration des générations à venir ; et il fallut qu'intervienne le grand HUGO, cet amoureux des monuments historiques, pour dénoncer dans deux articles successifs la barbarie et sensibiliser l'opinion à ce drame national. C'est grâce à lui que naquit la notion de "monument historique", leur classement pour empêcher leur destruction, sous la haute autorité d'un service central en charge désormais de leur conservation pour les générations futures.

Merci donc Victor Hugo ! Mais pour l'abbaye de l'Aumône, il était trop tard et elle avait déjà disparu en 1810 ; heureusement demeure le témoignage de PEAN et ROUSSEAU, et la représentation que fit PEAN depuis le Pont du XIIIe siècle du bâtiment conventuel.

Dans ses "Mémoires d'Outre-Tombe", CHATEAUBRIAND a admirablement résument les évènements qu'ils vécurent avec leur contemporains :

Je me suis retrouvé entre deux siècles comme au confluent de deux fleuves; j'ai plongé dans leurs eaux troublées, m'éloignant à regret du vieux rivage où je suis né, nageant avec espérance vers une rive inconnue.

 Les destructions indicibles infligées par la guerre de Cent ans, les Guerres de Religion, la Révolution française et la folie spéculative de quelques nantis, que les historiens qualifient de " bande noire", tant ils étaient avides et âpres au gain pour racheter à vil prix les biens mis sous séquestre par la révolution, sans finalité autre que d'en tirer un profit immédiat maximal en les revendant après parcellisation ou en les démolissant pour les commercialiser comme matériaux, ont causé ruines et disparitions de nombre de biens ecclésiastiques ou civils du patrimoine national. Parmi eux l'abbaye de l'Aumône, prestigieuse abbaye dont les pierres furent dissoutes dans un four à chaux pour enrichir la spéculation et dont le souvenir manqua d'être effacé à jamais de la mémoire humaine ... même le Cartulaire, si précieux pour reconstituer le quotidien de ces établissements, a disparu.

Faute de documents d'archives, ne demeurent plus que les notes, mémoires et souvenirs rédigés par des passionnés des XVIIIe et XIXe siècle dont les travaux et témoignages permettent de brosser en filigrane, de façon imprécise certes mais ô combien précieuse l'histoire et la vie des ce monastère et de ses religieux durant sept siècles : l'œuvre de deux notables de Marchenoir est à cet égard remarquable :

Gentien Alexandre PEAN, (1765 - 1857), Magistrat de profession, a exercé à BLOIS ; avec son Neveu,Auguste Alexandre ROUSSEAU(1783-1857), Notaire de MARCHENOIR, ils ont traversé les troubles de la Révolution française et assisté à la fin de l'Abbaye Notre-Dame de l'Aumône et à l'expulsion de ses religieux. Ils ont laissé un ouvrage non publié, intitulé "Histoire de la Ville et Baronnie de Marchenoir" ; très attachés et fiers de leur pays, ils le narrent dans cet ouvrage au moyen d'une vaste fresque, aussi passionnante que précise ; ce témoignage est capital pour l'abbaye Notre-Dame de l'Aumône, qu'ils ont connue active, puis accompagné dans son agonie et son éradication finale. Ils en ont reconstitué l'histoire pour en conserver le souvenir et le léguer aux générations futures, avec les moyens, documents et outils qui étaient ceux des historiens de leur époque. Outre les actes notariés relatifs à la vente et à la dissémination des biens de l'abbaye, ils nous lèguent " l'Extrait de l'inventaire raisonné des titres et papiers de l'abbaye Notre-Dame de l'Aumône" tel qu'il avait été dressé en 1772, ainsi que des plans et dessins de la main de Rousseau relatifs à la forêt de Marchenoir et à l'abbaye avant sa disparition.

 A l'initiative de M. Marc FESNEAU, Maire de Marchenoir, et après transcription et annotations par M. Bruno GUIGNARD, Responsable du fonds patrimonial des bibliothèques de Bois, cet ouvrage fait l'objet d'une première édition par les éditions du CHERCHE LUNE à VENDOME où il est possible de l'acquérir.

 Les extraits qui suivent sont des relevés du manuscrit de PEAN et ROUSSEAU qui avaient été effectués par Me Jean COSSON à la bibliothèque de Blois ; ils seront bien entendus complétés au fur et à mesure des possibilités.

Monastère et abbaye du Petit Cîteaux

Les Pères fondateurs

Biographie 1° de saint Benoît

 Saint-Benoît, né l'an 480, fut l'un des premiers instituteurs de la vie monastique en occident. Dès sa plus tendre jeunesse, il quitta le territoire de Nursie, sa patrie, situé dans le duché de Spolète (état de l'Eglise). Il fut élevé à Rome et s'y distingua par son esprit et sa vertu. l'âge de seize ans, il se retira du monde où sa naissance lui promettait de grands avantages. Une caverne affreuse dans le désert de Subiaco ou Sublac à quarante milles de Rome, fut sa première demeure. Il y resta caché pendant trois ans. Ses austérités et ses vertus l'ayant rendu célèbre, une foule de gens de tout âge se rendit auprès de lui. Il bâtit jusqu'à douze monastères. Ses succès excitèrent l'envie. Il quitta cette retraite et vint à Cassin, petite ville sur le pendant d'une haute montagne. Les paysans de ce lieu étaient idolâtres ; à la voix de Benoît, ils devinrent chrétiens. Leur temple consacré à Apollon fut changé en église, c'est-à-dire en un monastère célèbre. Cet évènement eut lieu en l'an 520. Bientôt, cette maison devint le berceau de l'ordre bénédictin. Son nom se répandit dans toute l'Europe. Totila, roi des Goths, passant dans la Campanie, voulut le voir et pour éprouver s'il avait le don de prophétie, comme on le disait, il lui envoya un de ses officiers nommé Riggon, qu'il avait fait revêtir de ses habits royaux et auquel il avait donné pour l'accompagner trois des principaux seigneurs de sa cour, avec un nombreux cortège. Le Saint, qui pour lors était assis, ne l'eut pas plus tôt aperçu qu'il lui cria : "Quittez, mon fils, l'habit que vous portez, il n'est pas à vous". Riggon, saisi de crainte et confus d'avoir voulu jouer ce grand homme, se jeta à ses pieds avec tous ceux qui l'accompagnaient. Lorsqu'il fut de retour, il raconta au roi ce qui lui était arrivé. Totila vint alors visiter lui-même le serviteur de Dieu. Dès qu'il le vit, il se prosterna par terre et y resta jusqu'à ce que Benoît l'eut relevé. Il fut bien étonné quand le saint lui parla de la sorte : " Vous faîtes beaucoup de mal et je prévois que vous en ferez encore davantage. Vous prendrez Rome, vous passerez la mer et règnerez neuf ans. Mais vous mourrez dans la dixième année et serez cité au Tribunal du juste Juge, pour lui rendre compte de toutes vos œuvres ". Toutes les parties de cette prédiction furent vérifiées par l'évènement. Totila, qui en avait été effrayé se recommanda aux prières du saint et fut moins cruel. Ayant pris peu de temps après la ville de Naples, il traita les prisonnier avec une humanité qu'on ne devait pas attendre d'un barbare. Saint Benoît mourut l'année suivante le 21 Mars 543 au Mont Cassin. Il est considéré à juste titre comme le Patriarche des moines d'occident. Son ordre (le bénédictin), florissant dès sa naissance, a produit un grand nombre de saints, de papes, de cardinaux, d'archevêques, d'évêques et de savants écrivains dont les ouvrages ont coopéré au perfectionnement des connaissances humaines. Cet ordre, partagé en plusieurs congrégations telles que celles de Cluny ou Clugny, du Mont-Cassin, de Saint-Vanne et de Saint-Maur, a été la tige de plusieurs ordres religieux et notamment de l'ordre des camaldules, en l'an 960, de celui de Grammont, en 1076, de celui des chartreux en 1086, de l'ordre de Cîteaux en 1098 et de celui des célestins, en l'année 1244. Suivant Paul, diacre, moine du Mont-Cassin, en son histoire des lombards, l'ordre de saint Benoît a été sans contredit un des plus étendus, des plus illustres, des plus riches. Il fut longtemps, dit un autre écrivain, un asile ouvert à tous ceux qui voulaient fuir les oppressions du gouvernement goth et vandale. On doit aux moines bénédictions une grande partie des précieux restes de l'antiquité ainsi que beaucoup d'inventions modernes. On a reproché à cet ordre célèbre ses grandes richesses. Mais on ne fait pas attention que c'est "en défrichant avec beaucoup de peine des forêts incultes et des terres ingrates, qu'ils se les sont procurées. Telle ville, qui est aujourd'hui florissante, n'était autrefois qu'un rocher nu ou un terrain en friche devenu fertile sous des mains saintes et laborieuses". " De quoi, dit un critique judicieux et équitable, auraient vécu des troupes des solitaires s'ils n'avaient pas été laborieux ? on ne leur donnait ni des terres cultivées, ni des colons pour les faire valoir, puisqu'ils se plaçaient tous dans des déserts. Mais les censeurs, les ennemis de la vie monastique demandent pourquoi renoncer aux affaires de la société pour aller passer sa vie dans la solitude ? Pour se soustraire au brigandage des tyrans et des guerriers qui ravageaient tout, qui cependant et à la honte de nos temps modernes, respectaient les moines dont la vie les étonnait et dont les vertus leur en imposaient". Quant aux richesses qu'ils possédaient et qui étaient le fruit de leur travail et de leur sage et judicieuse économie, quel usage en faisaient-ils ? On peut bien dire qu'ils ne les avaient que pour les répandre, que, sobres et économes pour ce qui les regardait, ils n'étaient magnifiques que lorsqu'il s'agissait d'orner la maison de Dieu, d'enrichir des bibliothèques, de concourir à des établissements utiles, de porter des secours aux pauvres et aux affligés. Cette observation pourrait s'étendre à tous les religieux qui avaient conservé l'esprit de leur état.

 Biographie 2° de saint Robert

 Saint Robert, religieux de l'ordre de saint Benoît, fonda en l'année 1075, l'abbaye de Molesme au diocèse de Langres. Mais, dans la suite, ayant remarqué que le relâchement s'introduisait dans sa communauté, il obtint de Hugues, archevêque de Lyon, légat du saint siège, la permission de s'établir avec plusieurs de ses religieux, à quatre lieux au sud de Dijon, dans un lieu appelé Cîteaux (Cistercium). Il s'y transporta en effet avec vingt-et-un de ses plus fervents religieux en l'année 1098. Eudes 1er, Duc de Bourgogne, leur bâtit dans le même lieu une église et un monastère. L'évêque de Chalons donna à Robert le bâton pastoral en qualité d'abbé. Telle fut l'origine de l'ordre de Cîteaux, qui a produit quatre souverains pontifes, des cardinaux, des évêques dont l'Eglise s'honore et des savants distingués et qui, de plus, comptait en France à la fin du XVIIIe siècle cent-quatre-vingt-neuf abbayes d'hommes en commende et quarante-et-une en règle, outre ce, cent-douze abbayes de femmes. Saint Robert, premier auteur et abbé de Cîteaux mourut le 21 mars 1108 ou le 17 avril 1110 à quatre-vingt-quatre ans.

 Biographie 3° Albéric et saint Etienne

 Son successeur fut saint Etienne, troisième abbé de Cîteaux, né en Angleterre, qui après avoir étudié à Paris et voyagé en Italie, se retira dans l'abbaye de Molesme.
Robert, premier abbé de Cîteaux, ayant été obligé par le pape de retourner à Molesme, Albéric fut mis à sa place. Après la mort d'Albéric, Saint Etienne fut élu abbé par toute la communauté. C'est à lui que l'ordre de Cîteaux est redevable de son accroissement, de sa perfection et de ses règles. Il fonda les abbayes de La Ferté-sur-Grosne, de Pontigny, de Clairvaux, etc. et mourut à Cîteaux le 28 mars 1134.

Biographie 4° de saint Bernard

 L'illustre saint Bernard succéda à saint Etienne (& - c'est inexact puisque saint Bernard ne fut jamais abbé de Cîteaux). Il naquit en l'année 1090 ou 1091 à Fontaine-Lès-Dijon en Bourgogne, village dont Tescelin, son père, était seigneur. Saint Bernard se fit moine à l'âge de vingt-deux ou vingt-trois ans, à Cîteaux, avec trente de ses compagnons. Son éloquence énergique et touchante leur avait persuadé de renoncer au monde. Clairvaux ayant été fondé en 1115, Bernard, quoiqu'à peine sorti du noviciat, en fut nommé le premier abbé. Cette maison, si opulente autrefois par une suite de travail de ses premiers religieux, était si pauvre dans l'origine que les moines faisaient souvent leur potage de feuilles de hêtre et mêlaient dans leur pain de l'orge, du millet et de la vesce. Le nom de Bernard se répandit bientôt partout. Il eut jusqu'à sept cent novices. Le pape Eugène III, des cardinaux, une foule d'évêques furent tirés de son monastère. On s'adressait à lui de toute l'Europe. En 1128, on le chargea de dresser une règle pour les Templiers, comme le seul homme capable de la leur donner. En un mot, saint Bernard s'acquit une si grande réputation de capacité, de prudence et de sainteté, que le pape, les évêques, les rois et les princes s'estimaient heureux de le choisir pour arbitrer dans leurs différends. Il fit profession à Cîteaux en 1113 et il décéda le 20 août 1153 à soixante trois ans. C'est du nom de ce saint et docte abbé, l'un des pères de l'Eglise, canonisé le 18 janvier 1174, que les religieux de l'ordre de Cîteaux, appelés cisterciens, furent nommés bernardins.

Histoire et vie de l'abbaye Notre-Dame de l'Aumône

Fondation du Petit Cîteaux

 Dès l'an 1121, sous le règne de Louis le Gros et pendant le pontificat de Calixte II, saint Etienne, alors abbé de Cîteaux, sur la demande de Thibault IV, Comte de Blois et de Dunois, et avec l'autorité de Geoffroy, évêque de Chartres et légat du Saint Siège, conduisit dans la forêt de Silvalonie, dite depuis la forêt de Marchenoir, plusieurs religieux de son abbaye. Il les y établit sur la limite sud est de la paroisse de La Colombe et il mit à leur tête un de ces religieux nommé Ulric en qualité de premier abbé de cette communauté naissante, dont l'église fut dédiée sous l'invocation de Notre-Dame. Dans ces premiers temps, l'abbaye ne subsistait que par les bienfaits journaliers du comte Thibault IV surnommé le Grand et par les aumônes des personnes pieuses et charitables. Cette circonstance détermina Ulric à donner à son abbaye le nom modeste et touchant de l'Aumône, monument respectable de son humilité et de sa reconnaissance. La vie exemplaire des religieux de Notre-Dame de l'Aumône attira dans l'abbaye un grand nombre de personnes de toutes conditions qui y embrassèrent la profession religieuse. Bientôt, la communauté s'accrut au point que quinze ans après son premier établissement, elle avait déjà fondé elle-même cinq abbayes de son ordre, savoir : celle de Landais en Berry (2 - Le Landais, commune de Ménétréol sous le Landais, département de l'Indre, canton d'Ecueillé. Dom Cottineau dans son répertoires des abbayes et prieurés de France, donné la date de 1115 pour sa fondation) fondée en 1125, et celle de Gaverley, en Angleterre en l'année 1129, celle de Bégard en Bretagne en l'année 1130 (3 - aujourd'hui commune et canton de Bégard, arrondissement de Guingamp, département des Côtes d'Armor), celle de Tintern en Angleterre en l'année 1131 et celle de Langonet en Bretagne en l'année 1136 (4 - département du Morbihan, canton de Gourin). Dès lors, on s'accoutuma à donner à l'abbaye de Notre-Dame de l'Aumône le surnom de Petit Cîteaux qui dans l'usage a prévalu. D'où il est résulté que, dans les actes publiés, cette abbaye est nommée l'abbaye Notre-Dame de l'Aumône, dite le Petit Cîteaux. Cette prodigieuse prospérité disposa le souverain pontife, Innocent III à approuver la fondation de cette abbaye par une bulle donnée à Piste au mois de mars indict 14 de l'an 1136.

Les dotations de Notre-Dame de l'Aumône

 Quelques années après, le comte Thibault IV fit délimiter par une profonde circonvallation le terrain par lui accordé à l'abbaye en l'année 1121. Ce terrain est de trente-quatre arpents trente perches. Il leur donna aussi sa métairie d'Arembert ou du Rembert et celle de Montchaud en la paroisse de Verdes. L'acte de cette donation est daté de l'an 1142. Il fut signé et rédigé en présence de plusieurs témoins entre autres de Bernier, prieur de Saint Léonard, Rahier, seigneur de Viévy, Eudes et Hugues ses fils, Herbert, seigneur de Moisy, et Hardouin seigneur de Chantôme. Cette donation fut confirmée par les Comtes Thibault V, dit le Bon en 1188 ou 1198 (note : c'est bien en 118, cf. H. de la Vallière, Op cit col 52-53), Louis son fils, en l'an 1199, Thibault VI dit le Jeune, fils de Louis, en 1218 et par le Comte Jean de Châtillon le 25 avril 1263. En l'année 1202, le Compte Louis accorda à l'abbaye un droit d'usage de 32 quartiers (8 arpents de 80 perches, la perche à 22 pieds) dans sa forêt de "Silvalonie" et le 11 septembre 1477 ce don fut confirmé par François d'Orléans Longueville, 1er du nom, comte de Dunois. Outre les comtes de Blois, de Dunois et de Chartres susnommés bienfaiteurs de l'abbaye Notre-Dame de l'Aumône, dite le Petit Cîteaux, une foule d'autres personnages recommandables par leurs vertus, leur naissance et leur piété s'estimèrent heureux de coopérer aux bienfaits de cette abbaye. En voici la série chronologique :

 Les bienfaiteurs de l'Aumône :

 

Les bienfaiteurs de l'Abbaye

AnBienfaiteurNature du bien
An 1142 Thibault IV dit « Le Grand »
Comte de Blois
 
An 1145 Gaultier Chaperon,seigneur de Chèvrement, du consentement de Julienne, sa femme Donna sa métairie de Chèvremont, située en la paroisse de Tripleville, qui s'étendait jusqu'au milieu du fleuve d'Aigre
An 1167 Ursin, seigneur de Fréteval Donna le lieu et terre de Vignone, dépendant de son fief (Vignone aujourd'hui le lieu et métairie de Saint-Robert, en la paroisse et commune de Roches
An 1172 Hugues, seigneur de Viévy Donation par Hugues Guenard de toute sa terre de la Guignardière sise en la paroisse de La Bosse
An 1174 Robert de Chartres, Chevalier  
An 1175 Odon de Chartres, Chevalier  
An 1184 Barthélemy de Vendôme, oncle de l'archevêque de TOURS Donne quatre charruées de terre près la fontaine anciennement dite saint Joudry de saint Gildéric ou Childeric
An 1186 Hugues, seigneur de La Ferté  
An 1188 Salomon, seigneur de Saint-Hilaire Donna toute sa dîme de Saint-Hilaire consistant en blé et toutes sortes de légumes
  Idem Hugues de Valère, seigneur de Civry,
Louis et Geoffroy ses frères
Donnèrent la quatrième partie des menues dîmes de la paroisse de Civry, pour aider à la construction de la nouvelle église, ensuite pour le luminaire d'un ou plusieurs hôtels
An 1189 Albéric de Reims, seigneur d'Ecoman, du consentement de Simon, son fils Un demi-muid du meilleur froment de sa terre d'Ecoman, pour faire des hosties et trois muids, mesure de Blois, de son meilleur vin pour la célébration des messes et vingt sols de son cens pour le luminaire du grand autel, payable le lendemain de la Toussaint de chaque année
An 1190 Gohier de Lennery, chevalier, et Lejarde sa femme Quatre sols moins trois deniers de cens et leur grande dîme sur les arpents de vigne appartenant à Guillaume et autres (charte de juillet 1190) plus dix sols de cens
An 1190 Payen, seigneur de Mondoubleau Vingt sols de rente annuelle et perpétuelle à recevoir à Châteaudun sur son revenue aux grandes et petites fêtes ; cette rente pour aider à la construction de l'église de l'abbaye et ensuite pour les luminaires d'icelle.
An 1198 Jean, seigneur de Montigny  
An 1199 Hervé, seigneur de Villerussien  
An 1200 Hugues de Lennery, seigneur de Dangeau  
An 1201 Arnault de Malterre, chevalier  
An 1202 Hugues sans cens, seigneur de Roches
Richer, cure de Saint-Médard de Châteaudun
Foulques de Franzé, écuyer de Villefleurs
 
An 1204 Geoffroy V, vicomte de Châteaudun  
An 1207 Richer, curé de Saint-Médard de Châteaudun  
An 1208 Hugues de Brezolles, écuyer
Jean III, comte de Vendôme
Bon des Essarts, écuyer
Simon de Reims, seigneur d'Ecoman
Simon, Raoul et Alès de Montfolet
 
An 1210 Geoffroy de Vendôme, seigneur de Lavardin
Odon de Porcheronville, écuyer
Donation d'une pièce de terre entre Feularde et Auviliers, près la terre desdits religieux de Cîteaux
An 1211 Catherine, comtesse douairière de Blois et de Dunois
Hervé de Beauvoir, écuyer
Geoffroy de Mesnil, seigneur de Manthierville
Jean III, Comte de Vendôme Jocelyn de Malterre, écuyer
Philippe, veuve de Geoffroy de Saint-Martin, écuyer
 
An 1212 Geoffroy V, vicomte de Châteaudun
Pierre de Villeberhon, écuyer
Renaud de l'Isle, écuyer
Thibaut, médecin, et Geunne, sa femme
Ursin de Meslé, écuyer
 
An 1213 Amaury de Troyes, écuyer
Robin Estivart, écuyer
 
An 1214 Philippe d'Epieds, écuyer
Pierre de Villebethon, écuyer
Raoul Le Vasseur, écuyer
 
An 1215 Elisabeth, comtesse de Chartres, dame d'Amboise
Etienne, curé de Saint-Médard de Châteaudun
 
An 1216 Garnier d'Eschelles, écuyer
seigneur de Cravant, c'est-à-dire Geoffroi Vezin
Guérin de Prébois, écuyer
 
An 1217 Hélie Le Roux, écuyer
Thibault VI, comte de Blois, de dunois, etc. ...
 
An 1218 Etienne de Saint-Césaire, chevalier
Guillaume de Poncé, écuyer
Jean de Rougemont, écuyer
Milon, comte de Bar-sur-Seine
Pierre d'Oucques, écuyer
Josselin (ou Rosselin) de Membrolles, seigneur de l'Ormeteau
 
An 1219 Guillaume de Poncé, écuyer
Jean IV, comte de Vendôme, seigneur de Montoire
 
An 1220 Etienne de Chaglos, seigneur des Godinières et Alexie de Clesles, sa femme
Guérin et Pierre de Salerne, seigneurs de La Brosse
Henry de Luet (ou du Luet), seigneur de Vierthiville Marguerite, veuve de Raoul Postel, seigneur de Villamblin, et celui-ci


Odon des Rochers, chanoine de Chartres



Un setier de froment de rente sur les terres de La Brosse


La moitié ou environ d'un muid de froment et la moitié d'un muid d'orge chaque année au jour de Saint Rémy, sur les Epines des Autels, paroisse de Villamblin
An 1221 Raoul, seigneur de Baule  
An 1222 Aubert de Saint-Sépulcre, chevalier
Geoffroy de l'Arable, seigneur de Lencôme
Geoffroy VI, vicomte de Châteaudun
Isabelle, femme d'Etienne Rabel, écuyer
 
An 1223 Hugues de Meslé, écuyer, et Mabile, son épouse, celle-ci ayant choisi sa sépulture en l'église du Petit Cîteaux Donation à cause de mort, de douze arpents de terre à Poivilliers, près de Chartres (confirmée en 1224)
An 1224 Hugues de La Ferté, écuyer  
An 1225 Agathe, veuve de Gervais Estrisart, écuyer
Evrad de Clos-Helland, écuyer
Geoffroi, curé de Busloup
Jean et Hugues de Villebethon, écuyers
 
An 1226 Jean IV, comte de Vendôme
Marguerite, comtesse de Blois et de Dunois
Geoffroy VI, vicomte de Châteaudun
 
An 1227 Gérard de Chartres, écuyer  
An 1228 Pierre de Salernes, écuyer  
An 1229 Pierre Roscineau, écuyer  
An 1230 Hugues de Montigny, écuyer  
An 1231 Robert de Chavannes, écuyer  
An 1232 Adeline, veuve de Denis de l'Alleu, près d'Autainville, seigneur de Guigny
Etienne de l'Alleu, seigneur de Guigny
Renaud et Ursin de Meslé, écuyers, seigneurs de Fréteval
 
An 1234 Guillaume d'Amboise, chanoine de Chartres
Jean de la Brosse, écuyer, fils de feu Paul de la Brosse


douze deniers tournois de cens sur une certaine terre devant sa maison près Mortefeuille, tenue par Huet de Lorry
An 1235 Guillaume de Romilly, écuyer, seigneur de Faye
Renaud de Marroy, écuyer
 
An 1238 ou 1239 Geoffroy de Meslé, vidame de Chartres  
An 1239 Gervais de Fleurs, prêtre Donation d'une vigne à Fréteval
An 1240 Sulplice d'Amboise, seigneur de Chaumont  
An 1241 Henri du Plessis-Mailly, écuyer
Renaud d'Escure, seigneur du Boulay
 
An 1242 Guillaume du Boile ou de Boëlé, écuyer
Hervé de More, écuyer
 
An 1243 Benoist Bigot, écuyer, et Alès, sa femme  
An 1244 Thomas Mercier, chanoine d'Amiens Toutes les maisons qui lui appartenaient, sises devant la porte de l'église de Saint-Jacques de Chartres, du côté de Muret (charte du 8 janvier)
An 1245 Aubert de Damonville, doyen d'Epernon
Renaud de Damonville, chanoine de Chartres

Robert de Chartres, chevalier, sire d'Autry
Ils donnent la totalité des dîmes de vil qu'ils possédaient au terroir de Prisseleu, près Chartres, pour le salut de leurs âmes et celles de leurs parents (charte novembre 1245)
An 1247 Gohier de Bouillonville  
An 1248 Alix de Beauvilliers, dame de Cernay
Etienne de Porcheronville, écuyer
Jean de Cernay, écuyer
Rotrou de Romilly, écuyer
 
An 1249 Mathilde, comtesse de Chartres, dame d'Amboise  
An 1252 Alix de Vendôme, fille de feu Geoffroy  
An 1254 Hugues Le Roux, écuyer, chevalier de Meslé
Mathieu, vidame de Chartres
 
An 1255 Eremburge de Long-Orme
Geoffroy de Bizolles, écuyer, du consentement d'Alix son épouse et de Guillaume son fils aîné
Henri Maugier, curé de Saint-Christophe de Suèvres
Permission et jouissance à perpétuité de deux arpents de vigne
An 1257 Marie, veuve de Garnier de Langey, écuyer  
An 1258 Guillaume des Roches, sénéchal d'Anjou  
An 1259 Henri de Bapaune, écuyer
Philippe de la Bruère, archevêque de Bourges
 
An 1260 Hervé Sans-Cens, écuyer, seigneur de Cerqueux, du consentement d'Aremburge, son épouse, de Renaud Sans Cens, écuyer, son frère, et de Pierre Sans-Cens, gendarme, leur neveu En pure aumône, tous leurs droits de cens et redevances sur le lieu de Cerqueux, sis en la paroisse de Josnes, consistant en 40 deniers parisis, 3 pains, 3 poules, et 6 mines d'avoine, payable charque année le lendemain de Noël, au village d'Ouche, paroisse de Josne (charte de juin 1260)
An 1264 Raoul II, sire de Beaugency  
An 1265 Jean, seigneur de Saint-Briçon (ou Saint-Briton)
Robert de Mantierville, écuyer
 
An 1266 Jean de Beauvilliers, écuyer Donation et sa confirmation de trios setiers de blé méteil de rente, sur le dîmes d'Avaray
An 1268 Jean de Châtillon, comte de Blois et de Dunois  
An 1269 Lès, Veuve de Robert de Mont-Renel, chevalier
Gradulphe du Quartier, écuyer
 
An 1271 Philippe Roupenon seigneur de Boulayes  
An 1272 Geoffroy Pichard, écuyer, châtelain de Châteaudun  
An 1274 Jean de Montrichard, chevalier
Raoul II, sire de Beaugency
 
An 1277 Jean d Saint-Briçon, écuyer  
An 1278 Olin des Janvières, écuyer
Hugues de Vésins, écuyer
 
An 1280 Jeanne de Châtaigne, veuve de Gérard de Puchot, écuyer  
An 1283 Luce de La Theuze, dame d'Orme Guignard
Raoul II, sire de Beaugency
 
An 1290 Robert d'Herbilly, écuyer  
An 1298 Raoulin d'Aunay, écuyer  
An 1313 Josslin Péan, écuyer, et Jeanne sa femme  
An 1315 Renault Poitevin, prévôt de Marchenoir  
An 1347 Jeanne de Hainaut, comtesse de Blois et de Dunois
Philippe de Beauvilliers, écuyer
 
An 1405 Marguerite de Joinville, dame de Chaumont  
An 1456 Pierre d'Amboise, seigneur de Chaumont  
An 1466 Robert Galafre, curé de Saint-Mandé puis de Montfolet  
An 1495 Jean Dederville, seigneur de Richeville  
An 1501 Thibault Cohu, Lieutenant du Bailliage de Marchenoir  
An 1524 Jeanne de Hochbeg, comtesse douairière de Dunois  
An 1538 Jean de Beauvilliers, écuyer  
An 1627 Jean Guignard, conseiller du roi au bailliage de Blois  
An 1627 Galiot de Beauxoncles, chevalier, seigneur d'Auoy et des Touches  
 

La dotation de l'abbaye du Petit Cîteaux dans les derniers temps consistait en cens, rentes, dîmes, près, vignes, terres sans bâtiments, deux moulins, sept étangs, vingt-huit métairies et mille cent six arpents de bois. Cette dotation, depuis l'année 1666, était divisée en trois menses d'égal produit : l'abbé en avait une, les religieux jouissaient de la seconde et le revenu de la troisième était exclusivement affecté aux dépenses du culte, à l'entretien des bâtiments et au soulagement des pauvres auxquels on distribuait perpétuellement d'abondantes aumônes.

 Les privilèges de l'abbaye de l'Aumône

 L'abbaye jouissait des privilèges suivants :

  • 1°) - elle était exempte de dîme pour les terres qu'elle exploitait, son enclos était impénétrable et inviolable, sous peinte d'excommunication (bulle d'Alexandre III, donnée en 1163)
  • 2°) - l'abbé officiait avec la mitre, la tunique, la dalmatique, l'anneau, la crosse et les autres ornements pontificaux (bref de Calixte III, donné au mois de septembre 1455)
  • 3°) - l'abbaye avait toujours eu ses causes commises au bailliage d'Orléans jusqu'en l'année 1528. Depuis cette date, elle avait droit de committimus (privilège par lequel des personnes civiles ou morales avaient le droit de faire évoquer les causes dans lesquelles elles étaient intéressées, soit comme demandeur soit come défendeur, devant une haute juridiction, le plus souvent le Parlement de Paris, ici le grand conseil du roi) au grand conseil du roi par lettres patentes du roi Louis XV, données au mois de mars 1719.
  • 4°) - les registres de recettes des cens et rentes dus à l'abbaye faisaient preuve en justice et tenaient lieu de titres (lettres patentes du roi Charles IX du 25 octobre 1568).
  • 5°) - L'abbaye avait, de toute ancienneté, un scel authentique ayant pour légende ces mots : "Sigillum Abbat. Beatae Mariae de Eleemosyna", au centre de cette légende étaient les armoiries de l'abbaye. L'écusson était : "d'azur à trois croissants montants d'argent, posés 2 et 1".

Les religieux de l'abbaye Notre-Dame de l'Aumône

 La communauté très nombreuse au commencement, ne comptait plus que trente-six religieux dans le XVe siècle. Ce fait résulte de lettres royales de Charles VI, du 15 Janvier 1405, concernant le sel destiné à la consommation de ces trente-six religieux. Depuis sa fondation jusqu'au XVIe siècle, cette abbaye fut toujours gouvernée par des abbés religieux. Depuis l'année 1539, elle n'eut plus que des abbés commendataires. Vers cette dernière époque, on n'y reçut plus de novices. Cette circonstance et les pertes qu'éprouva l'abbaye pendant les guerres de Religion (les guerres civiles de France) diminuèrent encore le nombre de ses religieux qui, enfin, n'était plus habituellement que de cinq ou six dans les derniers temps.

Religieux mémorables

 Au reste, l'abbaye du Petit Cîteaux a produit un grand nombre de bons religieux et de doctes personnages dont la mémoire sera toujours chère aux amis de la religion et des sciences. On peut citer entre autres ceux dont les noms suivent :

Sites et bâtiments de l'abbaye de l'Aumône

 

L'abbaye du Petit Cîteaux a prodigieusement souffert, premièrement de l'invasion des anglais en France au XVe siècle ; deuxièmement des excès des soldats protestants, exaltés d'une croyance nouvelle par la réforme religieuse dans le siècle suivant ; troisièmement des excursions des partisans de la Fronde. Mais jamais elle ne s'est prévalue de ses pertes pour se soustraire à la dépense à faire pour subvenir aux nécessités publiques ou particulières. En effet, dans aucune circonstance, ses aumônes journalières ne furent ni moins abondantes, ni moins générales ; les religieux seuls ressentirent l'effet de la diminution de leurs revenus et l'augmentation de leurs charges. Et lorsqu'il eut été décidé que la ville de Châteaudun, incendiée en l'année 1723, serait rebâtie, ils vendirent une coupe extraordinaire de bois dont le prix montant à la somme de trente-cinq-mille cent livres fut appliqué à la dépense de cette reconstruction. Cette somme représentait au moins soixante-mille francs de notre monnaie ou pour mieux dire, une valeur actuelle du bois.

Eglise de l'abbaye

 

On n'a conservé aucune idée de l'église qui fut bâtie pour les religieux du Petit Cîteaux en l'année 1121. On sait seulement qu'elle n'était ni vaste ni somptueuse. Vers la fin du XIIe siècle, on fit les premières dispositions pour en bâtir une nouvelle sur l'emplacement même de la première. La donation faite en l'année 1188 par Hugues de Valère, seigneur de Civry, celle de Payen, seigneur de Mondoubleau en 1190 et celle de Pierre de Salerne en 1228, n'eurent pas d'autre objet. Les principales pierres qui entrèrent dans cette construction sortirent d'une carrière appartenant à l'abbaye de Vendôme, située près de cette ville dans un lieu appelé "La Chappe". La preuve de ce fait est établie dans un acte du mois de mars 1271 par lequel les religieux du Petit Cîteaux reconnaissent que la carrière de "la Chappe", près Vendôme, d'où avaient été extraites les pierres pour la construction de leur église, appartient en propriété à l'abbaye de Vendôme, qui avait permis cette extraction, mais sans renoncer à la propriété de fonds (note : c'est le contraire qui est exprimé par la charte de mars 1271. L'abbaye de Cîteaux avait permis à l'abbaye de La Trinité d'exploiter sa carrière de la Chappe pour la construction de l'abbatiale de Vendôme -cd Métais, Cartulaire de la Trinité, III, charte 736) Cette église fut terminée vers l'an 1230. Elle était grande et belle, construite dans le genre gothique. Sa longueur était de cent quarante-sept pieds (47,77 mètres), la nef et le chœur avaient [blanc] pieds de largeur dans œuvre, celle des bas côtés était de vingt-et-un pieds (ce chiffre et celui qui suit ont été grattés mais peuvent encore se lire. 21 pieds équivalent à 6m82, 46 pieds à 14,95 mètres) indépendamment des chapelles. La voûte principale était de haute de quarante-six pieds sous clé. Celles des bas-côtés avaient [blanc] pieds d'élévation. Les chapiteaux et leurs colonnes d'un genre colossal, annonçaient plutôt le genre égyptien que tout autre (il faut sans doute voir dans ce "style égyptien" qu'évoque Rousseau, les chapiteaux très simples que l'ordre cistercien a répandu dans ses églises, et qui peuvent évoquer, d'assez loin il est vrai, le style des chapiteaux loti formes de certains monuments égyptiens. Rappelons qu'à l'époque de Rousseau, vers 1820, l'architecture médiévale était encore assez mal connue et qu'en revanche le style "retour d'Egypte" avait familiarisé les français avec ces formes antiques). Entre autres personnages distingués qui élirent leurs sépultures dans cette église, on peut citer :

 Dans le XVIe siècle, les soldats protestants, mus par leur système de réforme religieuse et plus particulièrement par leur rapacité destructrice, exercèrent sur cet édifice grandiose des dévastations telles qu'il tomba en ruines. Vers le milieu du XVIIIe siècle, on fut forcé d'après les dégradations considérables qu'il avait éprouvées, de l'abandonner absolument et comme la communauté était devenue beaucoup moins nombreuse par l'effet du malheur des temps, on destina dans le XVIIe siècle (au commencement) l'ancien réfectoire qui avait quatre-vingt-dix pieds de long sur quarante de large (29, 25 m x 13 m), à la célébration de l'office divin. En l'année 1664, on refit le lambris de ce bâtiment. On éleva sur son comble un petit clocher dans lequel l'horloge de la communauté et une seule cloche d'un poids considérable furent placées. Cette nouvelle église fut divisée en deux parties, dont l'une forma la nef et l'autre le chœur et elle fut convenablement ornée. La communauté la dédia à Dieu, sous l'invocation de la Sainte-Vierge. M Claude Blampignon était alors abbé commendataire ; cette dédicace eut lieu le 17 octobre 1664. On voyait dans le chœur, du côté de l'évangile, entre les salles et le sanctuaire, un petit monument en marbre noir, renfermant le cœur de Louis Dupré, abbé commendataire. Ce monument avait été élevé en 1781.

 Maison abbatiale

 Ce bâtiment était situé dans l'enceinte de l'abbaye, du côté sud-ouest. Il n'avait aucune communication nécessaire avec la maison conventuelle et il n'en était séparé que par la nouvelle église et un jardin qui dans les derniers temps était spécialement destiné à la culture des asperges, pourquoi on le nommait l'asperge. La maison abbatiale, sous le rapport architectural, ne représentait en-dehors, qu'un aspect peu étendu. Il était même monotone et sans aucun corps d'ordonnance, par la raison que cette construction était antérieure à la renaissance de l'architecture en France. La pleine maçonnerie en elle-même très solide, consistait plutôt en briques bien liées qu'en pierres soit de moellon, soit de taille. Cependant les encoignures et les ouvertures (portes et croisées) consistaient en huisseries taillées à l'aide de pierre franche et de bourré. Les croisées étaient garnies extérieurement de barreaux de fer et les vantaux l'étaient en vitraux plombés. Ce logement [une ligne en blanc] et la toiture était en tuile. L'intérieur avait subi des changements ; il était distribué et orné d'après le goût et les combinaisons des temps modernes ; il était logeable et commode. Cette maison abbatiale qui avait au sud-ouest, au sud et à l'ouest d'une seule contiguïté, ses cours, jardins et enclos bien plantés dans leur distribution et entouré de murs où se trouvaient des portes d'aisance et de sûreté avec des bâtiment auxiliaires, fut du monastère du Petit Cîteaux le premier objet qui disparut du sol. Sa démolition eu lieu dès l'an 17, après avoir ressenti antérieurement les secousses, à la vérité moins destructrices, des soldats anglais et protestants, au-cours des XVe et XVIe siècles.

 Maison conventuelle

 Indépendamment des spoliations commises par les anglais sur le trésor de l'église, les religieux du Petit Cîteaux eurent à souffrir dans la suite, de la part des Protestants les plus déplorables excès. La maison fut pillée et dévastée par leurs soldats qui n'avaient pas d'autre moyen de subsister. Partout où ils portèrent leurs pas et surtout dans les maisons religieuses, ils marquèrent leur passage par la plus affreuse dévastatation. Obligés de fuir pour éviter d'indignes traitements, même la mort, les religieux du Petit Cîteaux cachèrent dans la maison de Jacques de Varennes, le seigneur de Chevrigny qui demeurait à La Colombe, les principaux titres de l'abbaye. Pendant dix ans, ce gentilhomme conserva ce dépôt d'autant plus sûrement qu'il professait le protestantisme et que sa maison fut exempte des investigations de la soldatesque. Un acte du 19 juin 1570 constate ce fait. Les dégradations subies par la maison conventuelle du Petit Cîteaux en précipitèrent la ruine. En 1701 on éleva à sa place celle qui naguère encore subsistait. Celle-ci était un bâtiment à deux étages, y compris le rez-de-chaussée. Sa façade, qui regardait vers le nord, s'étendait de cent-quatre-vingt-douze pieds sur quarante d'élévation depuis le glacis jusqu'à l'entablement (note : soit une longueur de 62,40 mètres sur une hauteur de 13 mètres). Le comble, coupé en croupe à ses deux extrémités, s'élevait de vingt-quatre pieds à partir de l'entablement et était couvert en ardoise. L'élévation totale de l'édifice était de soixante-quatre pieds. Au milieu du bâtiment se présentait un avant-corps peu saillant de trente-six pieds de face, surmonté d'un fronton décoré des armes de l'abbaye parfaitement sculpté. A chaque étage, la façade avait quinze fenêtres bien proportionnées, y compris la principale ouverture du rez-de-chaussée qui était la porte d'entrée de ce beau corps de logis. Ce bâtiment, fort bien combiné pour sa destination, présentait dans l'intérieur de longs corridors avec un très bel escalier en pierre pour monter seulement à l'étage et les cellules tenaient plutôt dans leur décoration de la sévérité religieuse que de l'élégance mondaine. On trouvait dans l'une des salles supérieures de cette maison, une bibliothèque assez considérable composée d'ouvrages concernant l'histoire sacrée et profane et en général tout ce qui a trait aux connaissances humaines ; ces livres étaient destinés à cultiver les lettres, les sciences exactes et à se fortifier dans la morale et la vertu évangélique. (note : la bibliothèque de Blois conserve quelques livres provenant de cette bibliothèque, portant l'ex-libris manuscrit "Elemoosyna"). La maison conventuelle du Petit Cîteaux communiquait intérieurement au sud-ouest avec l'église et faisait face au nord-est à une très belle et vaste cour bien dessinée en compartiments et carrés de gazon qui étaient entourés de plates-bandes bien plantées. Au milieu de cette cour et sur la façade de cette maison s'alignait une grande allée plantée à gauche et à droite d'ifs vigoureux, taillés élégamment. Celle allée, en passant sur une très belle et solide arche d'un réservoir ou canal franchissait une grande porte à deux vantaux, liée à gauche et à droite à une grille, le tout en fer et d'une exécution forte et distinguée, que garantissait à l'extérieur et de chaque côté où est la forêt, de larges et profonds sauts de loup. Cette allée enfin, prenait dans un même alignement la route dite de la Brosse, traversant dans la direction nord-est un des grands massifs de la forêt nommé bois de Cîteaux, et débouche dans la campagne entre la Brosse Salerne et La Colombe. Comme la maison abbatiale, la maison conventuelle du Petit Cîteaux avait au nord-ouest et au sud-est et d'une seule contiguïté à la grande cour, les bâtiments propres à l'exploitation d'une basse-cour entre autres, ainsi que ceux nécessaires au logement de celui qui avait la direction des cultures d'un vaste jardin potager et fruitier et de quelques enclos très bien plantés. L'anéantissement des ordres monastiques en France, lors de la révolution préludée en 1798, fut pour le Petit Cîteaux une époque de désastres en quelque sorte incessants. Aucune des secousses qu'éprouva cette maison lors des invasions des soldats anglais et protestants aux XVe et XVIe siècles, ne furent plus terribles que celle qui la bouleversa entièrement aux XVIIIe et XIXe siècles. L'abbé commendataire d'alors (M Pierre Joseph de Cremeaux d'Entragues), le prieur de la communauté (Dom Marcel Guillaume de Maublanc et tous les religieux), avec l'information de la suppression de leur ordre (note : conséquence de la loi du 13 février 1790), reçurent l'injonction de quitter leur monastère dans un délai de courte durée, avec la liberté cependant de se retirer en France ou bon leur semblerait et d'emporter avec leurs vêtements quelques meubles garnissant leur cellule. Aussitôt, l'apposition de scellés eut lieu sur tout le reste et sur tous les mobiliers de l'église et de la sacristie du Petit Cîteaux, d'après une loi de confiscation rendue au nom de la nationalité française. Ensuite, dans un laps de temps très rapproché, on transféra au Directoire du District de Mer la cloche, les vases sacrés, le linge, les ornements sacerdotaux et généralement tout ce qui servait au culte religieux de la communauté afin (comme le disaient les élus d'une fabrique nouvelle) d'être convertis en matières monétaires pur les besoins de l'Etat. Les livres et autres objets de la bibliothèque avec tout ce qui concourait à la formation du chartrier et des archives du Petit Cîteaux, furent, à cette époque également transférés à Mer pour y subir certains triages des autorités d'alors. C'est-à-dire pour y subir la conservation de ce qui ne traiterait que du temporel et du matériel, pour mettre en anéantissement tout ce qui avait rapport à la religion et ce qui portait la nuance féodale ; peu importaient alors les documents d'histoire locale. Après la disparition des hôtes bienfaisants du Petit Cîteaux (car ils étaient des pères généreux de tous ceux qui les entouraient soit comme industriels, soit comme indigents, soit comme voyageurs) et après les enlèvements des principaux objets de l'abbatiale du couvet et de leur église, il restait encore dans ces maisons, naguère l'asile de la véritable philanthropie et des vertus chrétiennes !! des mobiliers nécessaires aux services religieux et aux besoins domestiques. La vente s'y fit à l'encan devant un fonctionnaire ad-hoc, en sorte que les différents locaux ainsi dépouillés n'offrirent plus aux yeux du spectateur que des parois de mur et de cloisons complètement chauves et dégradées par l'effet d'un tel vandalisme.

Les abbés de Notre-Dame de l'Aumône

 Avant d'offrir les mutations qu'éprouva le monastère du Petit Cîteaux, d'après les nouvelles lois constitutionnelles, voici la chronologique 1° des abbés réguliers, 2° des abbés commendataires de ce monastère.

Abbatiats réguliers de l'abbaye de l'Aumône

Nom de l'AbbéPériodeAction
Ulric établi premier abbé par saint Etienne, abbé de Cîteaux, en l'année 1121 béni à la même époque par Geoffroi, évêque de Chartres, légat du Saint-Siège, vivant en l'année 1136 (note: le 18 février 1136, Ulric obtient du pape Innocent II une bulle confirmant la fondation du monastère dans lequel il est nommé "Ulrico, abbati de Helemosina" - Ch Cuissard)
Raoul vivant au mois de Juillet 1144 (Cuissard donne les dates 1143 à 1147 pour son abbatiat)  
Richard vivant en l'an 1151 (abbé de 1147 à 1156 d'après Cuissard)  
Serle (ou Serlon, ou Sellon Vivant en l'an 1171 Les dates de son abbatiat ne sont pas certaines et se situent entre 1170 et 1171. Sur ce personnage, voir Ch. Cuissard, "Serlon, abbé de l'Aumône", bulletin de la société dunoise, tome IX, 1900, pp 95-102)
Gervais vivant en l'an 1184  
Regnault, vivant en l'an 1186 (il dirige l'abbaye de 1186 à 1203)
Raoul II vivant en l'an 1203  
Aymeric vivant en 1222 (note : ou Hameric que Cuissard donne abbé de 1206 à 1222. A sa suite, la "Gallia christiana" nomme trois abbés : Ferrand, Humbert et Landry et deux autres simplement cités par leur initiale "S" et "M" sur lesquels il ne donne aucune précision)
Geofroi, vivant en 1231 (il aurait été abbé de 1227 à 1237)
Robert, vivant en 1242  
Daniel, vivant en 1251 (il était déjà abbé en 1248)
Guy, vivant en 1255  
Geofroi II vivant en 1267  
Daniel II vivant en 1272 (il reçoit en juin 1270 des terres pour lui et ses moines)
Arnaud, vivant en 1282 (Ernauld ou Ernaud est attesté dès 1277, et c'est peut-être lui qui concélèbre les funérailles d'Alix de Bretagne, épouse de Jean-de-Chatillon, en 1288 à l'abbaye de La Guiche)
Etienne vivant en 1313  
Mathieu vivant en 1334  
Thomas vivant en 1357  
Pierre vivant en 1376 l'abbé Pierre aurait été en fonction dès 1365 si l'on en croit le "Gallia Christiana" qui, selon son habitude, ne cite pas ses sources sur ce point)
Nicaise, vivant en 1408  
Martin vivant en 1422  
Jean vivant en 1439  
Guy BIAU vivant en 1463 il siégeait déjà en 1440. C'est sous son abbatiat que l'abbé de l'Aumône reçut le privilège de porter crosse, mitre, anneaux et autres ornements pontificaux dans tous les endroits qui seront de son obédience et de sa juridiction
Antoine Le Comte, béni par l'évêque de Chartres le 14 des calendes de septembre 1464 (c'est à dire le 19 août 1464. Antoine le Comte passe des actes jusqu'au 19 décembre 1467)
René Lucas (en commende), depuis le mois de novembre 1486 jusqu'à l'année 1492 (acte du 12 janvier 1492 -1493 nouveau style-)
Gentien Guignard, depuis le mois de nombre 1493 jusqu'en l'an 1524, époque où il abdiqua (il vécut jusqu'en 1530)
Jean Halluyn
(Cuissard donne la graphie Halluy ou Hallay)
béni le 27 novembre 1524, abdiqua en l'année 1527 (mais il semble bien qu'il ait été abbé jusqu'au 30 octobre 1530 puisqu'il passe encore des actes à cette date)
Jacques Hamelin,, béni en 1528 gouverna l'abbaye jusqu'à sa mort qui arriva en l'année 1538.Il fut le dernier abbé régulier. Après lui, l'abbaye fut constamment tenue en commende.

 

Abbatiats commendataires

 
Nom de l'AbbéPériodeAction
Jean du Bellay, cardinal, vivant en l'année 1539 (il semble qu'il ait passé des baux en tant qu'abbé commendataire dès le 2 juin 1536)
Jean Juvénal des Ursins abbé dès l'an 1540 doyen de l'église métropolitaine de Paris,
Hippolyte d'Este, vivant en l'année 1559
(Cuissard donne de 1551 à 1558 comme dates extrêmes de son activité comme abbé commendataire)
cardinal de Ferrare
Aloys de Pise, vivant en l'année 1563 évêque de Padoue,
Eustache du Bellay vivant en l'année 1566 (il obtient l'abbaye en 1564) évêque de Paris
Bernardin Bochetel, vivant en 1569  
Antoine Bochetel, nommé abbé par bulle du 3 des ides de février 1570 (11 février 1570) chanoine de l'église métropolitaine de Paris, décédé la veille des calendes de janvier 1596 (31 décembre 1595)
Jean Vulcob,, nommé en 1599 décédé en 1612. Il était fils d'Antoine de Vulcob, seigneur de Coudron, Malantras et Saint-Germain des Bois, et de Catherine Bochetel
Martine de Racine, vivant en 1627 nommé par bulle du 8 des ides d'août 1612 (6 août 1612),
Nicolas de Neufville, nommé Abbé en 1627 conseiller-clerc au parlement de Paris, (Cuissard ne suit pas cet ordre et met Nicolas de Neufville abbé de 1612 à 1613, avant Martin de Racine dont il place l'abbatiat de 1613 à 1628, ce qui a plus de chance d'être exact et qui correspond également à l'ordre donné par la "Gallia Christiania")
Charles de Rochechouart de Chandenier, abbé en 1628 Il abdiqua vers l'an 1636 (plutôt en 1638 si l'on en croit Cuissard qui se base sur l'inventaire des titres de l'abbaye du Petit Cîteaux. Il est regrettable que la copie qu'il a eu entre les mains, bien que fournie par Henri de la Vallière, ne soit pas celle que nous avons sous les yeux et qui vient aussi de La Vallière. Nous n'avons pas en effet retrouvé cette mention dans l'extrait de l'inventaire qui suit)
Louis de Rochechouart de Chandenier, abbé en 1637 Il abdiqua en l'année 1640
Claude de Rochechouart de Landenier,. abbé en 1640 Il abdiqua en 1655 (et mourut le 18 mai 1710)
Claude Blampignon, nommé abbé en 1655 curé de Saint-Merry à Paris, prit possession le 30 janvier 1656, et abdiqua en l'année 1668 (a la suite du partage des biens de l'abbaye en 1666)
Jacques Potier de Novion, nommé abbé en l'année 1668 évêque de Sisteron puis de Fréjus, ensuite d'Evreux, décédé le 11 des calendes de novembres de 1709 (21 octobre 709), à soixante deux ans
Louis Dupré, nommé abbé à la fin de novembre 1709 décédé âgé de vingt-six ans au mois de juin 1711
Nicolas Martineau de Princé, nommé abbé au mois de novembre 1711 décédé en l'année 1719
Gilles Bernard Raguet, nommé abbé en l'année 1722 (c'est la date donnée par la "Gallia Christiana", mais Cuissard donne celle de 1719), vivant en l'année 1743 Percepteur du roi Louis XV
Pierre Joseph de Cremeaux d'Entraigues, vicaire général du diocèse de Bordeaux, prit possession par acte de Guénois, Vicaire apostolique à Blois en date du 24 septembre 1748. Il décéda à Beaugency le 8 mars 1803. M. l'abbé d'Entraigues était si bienfaisant que lorsqu'il perdit son bénéfice, il ne lui resta pour subsister que la ressource de quelques meubles. Les tendres soins d'une personne reconnaissante adoucirent la fin de sa longue carrière et il éprouva qu'au sein même de l'infortune, on peut encore être heureux avec une bonne conscience et un sincère ami.

Mutations opérées sur le Petit-Cîteaux depuis 1789 a la suite de sa suppression comme monastère et résultats de ces mutations

 

Après la dispersion des mobiliers du Petit Cîteaux, comme il est rapporté plus haut, on procéda à l'aliénation de tous les fonds territoriaux composant sa mense ou ses revenus. On vendit donc (et toujours pour les besoins de l'Etat) les bâtiments généralement quelconques, avec leurs cours, jardins, enclos et autres accessoires concourant à la formation du centre de cet ancien monastère. On y joignit une lisière ou faible partie de bois l'avoisinant en pourtour. Plus trente-deux quartiers ou huit arpents de bois d'usage, délivré chaque an à la maison de Cîteaux, au canton et côté de La Colombe en la forêt de Marchenoir. On ajouta à cette vente la ferme de Pommereau ou Pommereau, avec un deux étangs appelés étangs de Pommereau, plus, enfin, la ferme du Rembert, Raimbert ou Rimbert et les cent-trente-cinq arpents de bois en dépendant (l'Etat ayant réservé la forêt dite les bois de Cîteaux, d'une étendue de ? et contigus à un seul massif à la forêt de Marchenoir, à l'une de ses parties nord.) Ce domaine, d'une composition imposante puisqu'il comprenait encore la basse-cour dite de Cîteaux fut acquis par :

  • M Pierre Lamarre, propriétaire cultivateur à Sancheville (chef-lieu de commune, canton de Bonneval, arrondissement de Châteaudun) pour et au nom de M Nicolas Peiffer, propriétaire à Paris, suivant procès-verbal d'adjudication devant les administrateurs du district de Mer, en date du 11 juin 1791. M. Peiffer le vendit à :
  • M Jacques Denis Antoine, ancien architecte, membre de l'Institut national et de la société des sciences, lettres et arts de Paris, par contrat devant Me Pottier et son confrère, notaires à Paris le 9 janvier 1792.
  • M. Jacques Denis Antoine, par sa mort arrivée le 7 fructidor an 9 (25 août 1801) n'ayant pas d'enfant, transmit sa succession à MM. Jean Denis Antoine, sculpteur et propriétaire, Antoine Antoine, architecte expert, ses frères germains et autres collatéraux, ses sœurs, neveux et nièces, demeurant à Paris et ès environs, qui vendirent le domaine du Petit Cîteaux d'après licitation par jugement rendu à l'audience des criées du tribunal civil de Blois, en date du 10 thermidor an 11 (2 juillet 1803) à :
  • M. Godefroy Joseph Guislain Walckiers Garnarage pour dame Juliette Louis Joséphine Pierrette Tavernier Boulongne, son épouse, de lui séparée quant aux biens. Cette dame, lors veuve de M. Walckiers Garnarage son premier mari, épousa en secondes noces M. Marie Constant Fidèle Armand d'Hautpoul, marquis d'Hautpoul, propriétaire, demeurant à Paris. Madame la marquise d'Hautpoul, née Tavernier Boulongne vendit le même domaine à :
  • M. Urbain Jean Baptiste René Rocher, propriétaire et greffier du tribunal civil de première instance de La Flèche, département de la Sarthe, par contrat devant Me Etienne Benoist Michel Malbran, notaire à Cour-Cheverny, arrondissement de Blois, département de Loir-et-Cher, le 24 octobre 1817. M. Rocher n'ayant acheté Cîteaux que par des vues de spéculation, vendit parcellairement ce domaine à diverses personnes sous la direction et les conseils de Me Malbran qui spécialement présida plusieurs fois sur les lieux ce démembrement.

 


Voici la copie fidèle du marché concernant la démolition de la maison conventuelle de Cîteaux :

« Du 20 août 1818, Entre les soussignés Etienne Benoit Michel Malbran, notaire résidant à Cour-Cheverny, mandataire de M. Urbain Jean Baptiste René Rocher, propriétaire de la terre de Cîteaux ;

Et Pierre Jacques Duchon, charpentier demeurant à Auntainville, sous le cautionnement de M. Jacaques Main, propriétaire et marchand de bois demeurant audit Autainville, son collègue solidaire, M. Rocher a vendu au sieur Duchon qui l'accepte, les matériaux de toute espèce à provenir de la démolition du corps principal du château (le couvent) du Petit-Cîteaux, commune de La Colombe, et les deux bas-côtés au midi et au couchant servant de communs.
M. Duchon en fera la démolition à ses risques et fortune, d'ici cinq ans au fur et à mesure de ses besoins.
Il lui sera laissé pour le placement des matériaux pendant trois ans la cour d'honneur circonscrite telle qu'elle est actuellement par des piquets et se trouve figurée au plan, pendant cinq ans l'emplacement du principal corps de bâtiments (du château) du petit jardin et de l'asperge (petit jardin dans lequel on cultivait les asperges) avec une portion de cour sur laquelle était autrefois la construction des anciens bâtiments de l'abbatiale, cette portion de cour est limitée au nord par des quartiers de démolition de l'ancienne église (c'est-à-dire la nouvelle) qui se trouvent adossés au pignon midi du grand escalier, au couchant par l'alignement qui adosse le rang d'arbres étant dans la cour de l'abbatiale, derrière la cave et au midi par l'alignement du mur de l'asperge.
Les voûtes des caves seront laissées intactes, c'est-à-dire qu'il ne sera pris aucune des pierres, mais les fers et portes appartiendront au sieur Duchon, à moins que le propriétaire ne juge à propos de lui en faire déduction sur estimation, en démolissant les quartiers de pourtour des murs extérieurs, ne pourront être ôtés plus bas que le carrelis qui est sur les voûtes.
Toutes les pierres et moellons resteront sur le lieu pour le propriétaire qui en disposera comme bon lui semblera mais il ne pourra être contraint à leur déplacement, en sorte que M. Duchon les laissera en-dehors s'il le juge convenable, ou entassés dans des endroits qui lui seront moins nuisible. Il ne sera tenu à déblayer aucun des gravats ni immondices de sa démolition. S'il désire se les approprier, il aura la liberté de le faire.
Il existe outre le corps principal du château et le fournil attenant à la maison d'Oxan, deux arsenaux (arceaux) qui faisaient autrefois partie et continuation des cloîtres de l'abbaye. Si M. Duchon juge à propos de les faire démolir, pour faciliter l'approche des voitures, il en aura la liberté mais les pierres et quartiers en sont réservés. Sont demeurés réservé&s les pierres et quartiers qui forment le pilier de la nouvelle église, sur lequel sont appuyés les communs donnant sur le grand escalier.
L'emplacement entre les barrières de la cour d'honneur et le château pourra être employé par le sieur Duchon pour le dépôt de ses moellons et autres matériaux, en sorte cependant qu'il en reste quatre mètres de libre près les barrières, pour le passage des voitures. Au surplus, la portion à occuper se trouve limitée par les deux bornes les plus près de la ferme et maison de Couton.
La cour basse entre la nouvelle église, les remises et le château, pourra être occupée par m. Duchon ? de même que devant le château, en sorte cependant que l'on puisse avoir un accès facile aux remises par le bout du côté de l'entrée.
Si après trois ans il reste encore des bois sur la cour d'honneur, M. Duchon sera tenu de la vider et de les transporter sur des emplacements dont il doit jouir pendant cinq ans. Et s'il se trouve sur cette cour des quartiers et matériaux autres que les moellons (parce qu'il ne pourra y en être mis), ils appartiendront au propriétaire. M. Duchon sera censé alors en avoir fait l'abandon. A l'égard des autres emplacements, ils devront être laissés libres dans six ans et s'ils ne le sont pas, les matériaux qui resteront seront censés avoir été réservés par le propriétaire.
M. Duchon pourra commander la démolition dès le jour où le propriétaire aura ratifié la première vente à son choix, par le bout des communs du côté de la maison d'Oxan ou par le grand escalier, en sorte que, le salon, la chambre de maître, la cuisine et appartements au rez-de-chaussée ainsi que le vestibule d'entrée vers [le nord° resteront libres jusqu'au jour de Toussaint prochain. Au surplus, M. Duchon tirera de l'intérieur dans les parties du haut, tout ce qu'il jugera à propos, en conservant les parties extérieures, les croisées d'en bas ou tout ce qui peut empêcher l'accès aux parties réservées. Outre le corps principal des clôtures ci-dessus, M. Rocher vend audit Duchon tous les matériaux à provenir de la démolition de l'ancien bâtiment dit de l'abbatial (les anciennes écuries au midi) ainsi qu'il se compose, pour en faire les démolitions dès qu'il jugera à propos et à ses risques ; et pour donner à M. Duchon la liberté de placer ses matériaux, il lui est abandonné pour trois ans la partie de cour qui est au levant, depuis la porte d'entrée jusqu'à l'ormeau le plus proche et ne partant de là, jusqu'à la fuie et de la fuie, aller gagner la grange qui est adossée au pignon nord du dit bâtiment de l'abbatial. Tous les quartiers en pierre, les tuiles à provenir de la démolition appartiendront à M. Duchon, sauf ceux de la partie du mur qui fait séparation entre le grand corps de bâtiment de la grande, à laquelle M. Duchon fera attention de ne causer aucun dommage, à peine de le réparer. Le moellon des murs de l'intérieur et de l'extérieur appartiendront également au sieur Duchon sauf ceux du pignon du côté de la grande.
Après trois ans, toutes les pierres non enlevées resteront au propriétaire. Jusqu'au 24 de mai prochain, le sieur Oras restera sans payer dans le bout qu'il occupe. Cette vente, faite aux charges et conditions ci-dessus et moyennant quinze mille quatre cent cinquante francs, pour tout prix, qui seront payés par ledit Duchon sous l'obligation solidaire de M. Main, deux mille quatre-cent-vingt-cinq francs le 1 er janvier prochain, deux mille quatre-cent-vingt-cinq francs le 1 er juin 1819, et le surplus par sommes égales de deux mille francs de six mois en six mois jusqu'à la fin du paiement. Si l'enregistrement du présent devient nécessaire par défaut d'exécution des conventions par l'une ou l'autre des parties, celui qui l'aura occasionné le supportera, de même que le double droit s'il y a lieu.
Fait triple sous les seings privés des parties à Cîteaux, le 20 août 1818. Suivent les signatures Main jeune, Duchon et Malbran ».

Tableau des désastres complets qu'éprouva Cîteaux à la fin du XVIIIe siècle et au commencement du XIXe siècle, consigné en une lettre du 7 juin 1837, écrite par un témoin oculaire, voisin de ce lieu, et ainsi conçu :

 

« Je te dirai que je suis rempli d'admiration, en réfléchissant à la générosité qu'eurent des personnages nombreux qui, dès les premières années du XIIe siècle jusqu'à celles du XVIIe en donnèrent des preuves dictées par la piété et la foi, comme bienfaiteurs de l'abbaye et du couvent de l'Aumône du Petit Cîteaux, situé en la forêt de Marchenoir, près La Colombe et Autainville.
Ce monastère fut doublement recommandable ; d'abord a en ce qu'il était destiné à la religion ; qu'ensuite, il fut l'asile et le pourvoyeur des voyageurs et des indigents !Cette institution monastique, franchement, il faut le dire, a subi le triste sort de beaucoup d'autres, en succombant comme celles-ci sous les dispersions de leurs propriétés généralement quelconques, puis sous les coups redoublés du pic et du marteau du plus affreux et honteux vandalisme, conséquences déplorables des systèmes élevés aux XVIe et XVIIe siècles.
Ah ! quels temps et quelles époques que les nôtres ??
Les restes du malheureux Cîteaux, de ces pierres, dis-je, que l'on y rencontre encore çà et là, si parfaitement taillées, gisantes au milieu des massifs de ronces et épines, servent quant à leurs fractions, avec autres débris, de construction antiques de ce lieu, à entretenir depuis quelques années, un gouffre spécial disposé à les calciner, à les dévorer périodiquement.
Ce gouffre n'est autre chose qu'un fourneau à chaux, placé sur le lieu même où était le grand escalier du beau couvent de Cîteaux, couvent mis en reconstruction dans les premières de 1700 et en démolition à partir de la fin de 1818.
Je m'arrête à ce triste et faible tableau de ruines, de décombres et de désolation. Les hommes doués d'un esprit conservateur gémiront toujours au souvenir et à l'aspect sauvage des lieux dont le sol encore ému, fut témoin de destructions dirigées si malheureusement contre les monuments des arts, les uns plus élevés par l'esprit de religion de nos pères (la nôtre) ; les autres construits pour des personnages de haut rang, auprès desquels diverses classes de la société étaient assurées de trouver emploi, secours et protection !

 

Charles Marin Auguste Alexandre Rousseau,
de Marchenoir, année 1837 (du 7 juin)