Fondé en 1098 par l'abbé dominicain de Molesmes et quelques religieux fidèles voulant vivre dans la stricte application de la "Règle de Saint Benoît", dans un occident chrétien plongé dans une prodigieuse expansion économique et démographiques et un enrichissement auxquels certains moines n'étaient indifférents, ils furent à l'origine - même si la modestie, le travail, la prière et la rigueur monacale - consitutianet leur idéal - une prodigieuse aventure qui tarnsforma le continent et demeure toujours vivace mille ans après son apparition.
La genèse de l'ordre cistercien
En Occident, à la charnière des XIe - XIIe, nombreux sont les fidèles qui cherchent de « nouvelles voies de la perfection, désir inexprimé, mais exaltant toutes les ardeurs, de rajeunir le monde.
Cependant, pèlerinages et croisades ne nourrissent pas spirituellement tous les croyants. Aussi, conjuguant ascétisme et rigueur liturgique et rejetant l'oisiveté grâce au travail manuel, la 'Regula Sancti Benedicti' est à la fin du XIe une formidable source d'inspiration pour les mouvements en quête de perfection tels les ordres de Grandmont ou de la Chartreuse, fondée par Bruno de Cologne en 1084.
L'ordre cistercien est marqué à sa naissance par la nécessité de réforme et l'aspiration évangélique qui sous-tend également l'expérience de Robert d'Arbrissel (fondateur de l'ordre de Fontevraud en 1091) et l'éclosion des chapitres de chanoines réguliers. « Cîteaux naît de ce désir partagé de renouveler le monachisme et d'en redéfinir la place (Marcel Pacaut, ''Les moines blancs'', ''op. cit.'', p. 22).
À cette époque, la voie monastique clunisienne voit s'élever contre elle des critiques de plus en plus nombreuses. La modération souhaitée par Benoît de Nursie (saint Benoît) n'est plus visible avec la magnificence de bâtiments de l'ordre. L'activité liturgique clunisienne ne semble plus permettre le respect des vœux d'humilité, de pauvreté et de charité. Au-delà, l'exclusivité des activités intellectuelles du 'scriptorium', de l'exercice du plain-chant et l'office divin ont coupé les moines d'une des trois exigences de la règle bénédictine, le travail manuel.
À Cluny, l'agriculture est devenue une activité extérieure (Sur l'opposition entre monachisme clunisien et cistercien quant au rapport au travail manuel voir, Georges Duby, ''Hommes et structures du Moyen Âge, II : seigneurs et paysans', in 'Qu'est-ce que la société féodale ?', Mille & une pages, Flammarion, 2002, p. 1309).
Certes, l'ordre a essaimé ses monastères dans toute l'Europe, mais la proximité de ses abbés avec le pouvoir temporel n'est pas du goût de tous (Jean-François Mondot, « Moines noirs & moines blancs », ''Les Cahiers de Science & Vie'', n° 78, décembre 2003, {{Xe}}-{{XIIe siècle : la révolution des monastères - Les cisterciens changent la France'', p. 14-15).
Il ne faudrait cependant pas voir dans la « fiévreuse activité de réforme (Louis J. Lekai, 'op. cit.', p. 23.)» une critique ouverte à l'encontre de Cluny, mais plutôt une volonté d'exprimer l'héroïsme du temps dans une voie bénédictine plus sévère, par un retour à la rigueur des Pères du Désert (André Vauchez, « Naissance d'une chrétienté », 'op. cit.', p. 96-97 ; Louis J. Lekai, ''op. cit.'', p. 18-24.)
Les pères fondateurs
L'aventure cistercienne commence avec la fondation de l'abbaye Notre-Dame de Molesme par Robert de Molesme (saint Robert]] en 1075, dans la région de Tonnerre (Yonne).
Né à Champagne, apparenté à la famille de Maligny, l'une des plus grandes de la région, Robert de Molesme commence son noviciat à l'âge de quinze ans à l'abbaye de Moûtiers-la-Celle, dans le diocèse de Troyes.
Il devient prieur. Pétri de l'idéal de restauration du monachisme tel que saint Benoît l'avait institué, il quitte en 1075 son prieuré. Il parvient à mettre en application cet idéal en partageant solitude, pauvreté, jeûne et prière avec sept ermites installés dans la forêt de Collan (ou Colan), près de Tonnerre (Yonne), dont il dirige la vie spirituelle.
Grâce aux sires de Maligny, ce groupe s'installe dans la vallée de la Laignes, dans le lieu-dit de Molesme, en adoptant des règles de vie proche de celles des Camaldules, alliant la vie commune de travail et de l'office bénédictin à l'érémitisme.
Cette fondation est un succès : la nouvelle abbaye draine nombre de visiteurs et donateurs, religieux et laïcs ; une quinzaine d'années après sa fondation, Molesme ressemble à n'importe quelle abbaye bénédictine prospère de son époque.
Mais les exigences de Robert et d'Albéric, son Prieur, sont mal acceptées ; des divisions surviennent au sein de la communauté. En 1090, Robert, avec quelques compagnons, choisit de s'éloigner pour un temps de l'abbaye et de ses dissensions et s'établit avec quelques frères à Aulx pour y mener une vie d'ermite. Il est cependant contraint de regagner l'abbaye qu'il dirige à Molesme.
Sachant qu'il ne parviendra pas à satisfaire son idéal de solitude et de pauvreté dans le climat de Molesme où s'opposent les partisans de la tradition et ceux du renouveau, Robert, avec l'autorisation du légat du pape Hugues de Bourgogne|Hugues de Die, accepte le lieu solitaire situé dans la forêt marécageuse du Pays-bas dijonnais que lui proposent le duc de Bourgogne (Eudes Ier de Bourgogne|Eudes I) et les vicomtes de Beaune, de lointains cousins, pour se retirer et pratiquer avec la plus grande austérité la règle de saint Benoît.
Dans ce lieu proche de la vallée de la Saône, à vingt-deux kilomètres au sud de Dijon, il trouve un « Désert », couvert de "cistels" (roseaux). Les frères « firent une coupe dans la forêt et dégagèrent un espace dans l'épaisseur des fourrés d'épines, puis se mirent à construire à l'endroit même un monastère. »
Alberic de Cîteaux et Étienne Harding, ainsi que vingt-et-un moines fervents, l'accompagnent dans son « affreuse solitude » où ils s'installent le 21 mars 1098, sur le site de ''La Forgeotte'', alleu concédé par Renard, vicomte de Beaune, pour y fonder une autre communauté dénommée pour un temps «Nouveau Monastère» cède la place à celui de Cîteaux vers 1120.
Le « Nouveau Monastère »
L'abbatiat de Robert
Les débuts du "novum monasterium" dans des bâtiments de bois entourés d'une nature hostile, sont difficiles pour la communauté. La nouvelle fondation bénéficie cependant du soutien de l'évêque de Dijon. Eudes Ier de Bourgogne fait lui aussi montre de largesse ; Renard de Beaune, son vassal, cède à la communauté les terres qui jouxtent le monastère. La protection bienveillante de l'archevêque Hugues permet l'édification d'un monastère de bois et d'une humble église. Robert a tout juste le temps de recevoir du duc de Bourgogne une vigne à Meursault qu'à la suite d'un synode tenu à Port d'Anselle en 1099 qui légitime la fondation du ''novum monasterium'', il se voit contraint de revenir à Molesme où il trouvera la mort en 1111. L'historiographie cistercienne flétrit, un temps, la mémoire des moines qui regagnent Molesme.
Ainsi, les écrits de Guillaume de Malmesbury, puis les "Petit" et "Grand Exorde" sont à l'origine de la légende noire qui poursuit, au sein de l'ordre, Robert et ses compagnons de Molesme « qui n'aimaient pas le désert.
L'abbatiat d'Aubry
Robert laisse la communauté aux mains d'Aubry de Cîteaux (Alberic, son Prieur de Molesmes), l'un des plus fervents partisans de la rupture avec Molesme.
Aubry, administrateur efficace et compétent, obtient la protection du pape Pascal II ("Privilegium Romanum") qui promulgue le 19 octobre 1100 la bulle "Desiderium quod". Aubry, confronté à de nombreuses difficultés matérielles, déplace sa communauté deux kilomètres plus au sud, au bord de la Vouge, pour trouver un approvisionnement en eau suffisant.
Une église est édifiée sur ses ordres à quelques centaines de mètres du site initial.
Le 16 novembre 1106, Gauthier, l'évêque de Chalon-sur-Saône, consacre sur ce nouveau site la première église construite en pierre. Aubry parvient à maintenir la ferveur spirituelle au sein de sa communauté, qu'il soumet à une ascèse très rude.
Mais Cîteaux végète, les vocations se font rares et ses membres vieillissent. Les années semblent difficiles pour la petite communauté car « les frères de l'Église de Molesme et d'autres moines voisins ne cessent de les harceler et de les troubler car ils craignent de paraître eux-mêmes plus vils et plus méprisables aux yeux du monde si l'on voit les autres habiter au milieu d'eux comme des moines nouveaux et singuliers. Cependant, la protection du duc de Bourgogne, puis de son Hugues II après 1102 (date de la mort du duc de Bourgogne qui se fit inhumer au Nouveau monastère, volonté qui fit de l'abbaye « la nécropole ducale officielle.) et des clercs édifiés par le courage de la communauté, permet un premier essor.
À partir de 1100, le monastère attire quelques recrues : quelques novices rejoignent le groupe.
Pendant son abbatiat, Aubry fait adopter aux moines l'habit de laine écrue contre la robe noire des moines de l'ordre de Cluny, ce qui vaudra aux moines cistercien le surnom de « moines blancs, parfois aussi de « bénédictins blancs » ou encore de « Bernardins», du nom de saint Bernard, à l'opposé des bénédictins ou « moines noirs ». Aubry définit aussi le statut des frères convers, ces religieux qui ne sont ni clercs ni moines, mais soumis à l'obéissance et à la stabilité et qui accomplissent le gros des tâches manuelles ; il fait entreprendre le travail de révision de la Bible, qui sera achevé sous l'abbatiat d'Étienne Harding.
L'abbatiat d'Étienne Harding
En 1109, Étienne Harding prend en main les destinées de Cîteaux en succédant à Aubry après la mort de ce dernier.
Étienne, noble anglo-saxon à la solide formation intellectuelle, est un moine formé à l'école de Vallombreuse qui a déjà joué un rôle majeur dans les événements de 1098. Il entretient d'excellents rapports avec les seigneurs locaux. La bienveillance de la châtelaine de Vergy et du duc de Bourgogne assure l'essor matériel de l'abbaye.
La mise en valeur des terres assure à la communauté les ressources nécessaires à sa subsistance. La ferveur des moines confère à l'abbaye une grande renommée. En avril 1112 ou en mai 1113, le jeune chevalier Bernard de Fontaine, accompagné d'une trentaine de compagnons, fait son entrée au monastère dont il va bouleverser les destinées.
Avec l'arrivée de Bernard, l'abbaye connaît une embellie. Les postulants affluent, les effectifs croissent et poussent Étienne Harding à fonder des « abbayes-filles ».
La fondation de l'ordre
En 1113, la première abbaye-fille est fondée à La Ferté dans le diocèse de Chalon-sur-Saône, suivie par celle de Pontigny, dans le diocèse d'Auxerre en 1114.
En juin 1115, Étienne Harding envoie Bernard avec douze compagnons pour fonder l'abbaye de Clairvaux en Champagne.
Le même jour une communauté monastique part de Cîteaux pour fonder l'abbaye de Morimond.
Sur cette souche des quatre filles de Cîteaux, l'ordre cistercien va se développer et la famille cistercienne croître durant tout le XIIe siècle.
À partir de 1120 l'ordre s'implante à l'étranger. Enfin, à côté des monastères d'hommes, des couvents de moniales vont se créer. Le premier est établi en 1132 à l'initiative d'Étienne Harding au Tart, l'un des plus célèbres étant celui de Port-Royal-des-Champs. Pour Étienne Harding, l'organisateur de l'ordre et grand législateur, l'œuvre qu'il voit naître reste encore fragile et a besoin d'être confortée. Les abbayes créées par Cîteaux ont besoin du lien qui va être la marque de leur appartenance à l'application stricte de la règle de saint Benoît et rendre les communautés monastiques solidaires.
La Charte de Charité qu'il élabore apparaît comme le « ciment » qui va garantir la solidité de l'édifice cistercien.
La Charte de charité
Entre 1114 et 1118, Étienne Harding rédige la « carta caritatis » ou "Charte de charité", texte constitutionnel fondamental sur lequel repose la cohésion de l'ordre : Elle établit l'égalité entre les monastères de l'ordre.
Dans le respect d'unité d'observance de la règle de saint Benoît, elle a pour objet d'organiser la vie quotidienne et d'instaurer une discipline uniforme à l'ensemble des abbayes.
Le pape Calixte II l'approuve le 23 décembre 1119 à Saulieu.
Elle fit l'objet de différentes mises au point. Étienne Harding a prévu que chaque abbaye dépende, tout en conservant une grande autonomie notamment financière, d'une abbaye mère : l'abbaye qui l'a fondée ou à laquelle elle est rattachée. Leurs abbés élus par la communauté gouvernent l'abbaye comme ils l'entendent. En même temps, il a su prévoir des systèmes de contrôles efficaces tout en évitant la centralisation : l'abbaye-mère dispose d'un droit de regard, son abbé doit la visiter annuellement. Étienne Harding a institué, au sommet de l'édifice, le Chapitre général comme organe suprême de contrôle.
Le Chapitre général réunit chaque 14 septembre, sous la présidence de l'abbé de Cîteaux qui fixe le programme, tous les abbés de l'ordre qui doivent y assister en personne ou, exceptionnellement, se faire représenter. Ils ont rang égal hormis les abbés des quatre branches maîtresses. Le Chapitre général édicte par ailleurs des statuts et apporte les adaptations rendues nécessaires aux règles régissant l'ordre. Les décisions prises lors de ces assemblées sont rapportées dans des registres appelés "statuta, instituta et capitula".
Ce système, comme le souligne Dom J. M. Canivez, a permis « une union, une intense circulation de vie et un réel esprit de famille groupant en un corps compact les abbayes sorties de Cîteaux ».