Etude de Charles CUISSARD

Le même bulletin en date du 1 janvier 1881 de la "Revue Dunoise d'archéologie, sciences, histoire et art" publie le mémoire compilé par Monsieur Charles CUISSARD sur l'abbaye Notre-Dame-de-l'Aumône dont le souvenir était encore vivace, semble-t-il, dans les sociétés savantes de la région.

Retrouver le Mémoire de Charles Cuissard tel que publié par la Société Dunoise d'Archéologie, Histoire, Sciences et Arts en 1881 :

Bulletin de la Société dunoise : archéologie, histoire, sciences et arts
Bulletin de la Société dunoise : archéologie, histoire, sciences et arts
Source: gallica.bnf.fr

Texte d'un mémoire du XIXe siècle, déposé aux archives départementales du Loir-&-Cher, rédigé par M. Charles CUISSARD, Historien du XIXe siècle, auteur de nombreux ouvrages sur les régions d'Orléans, Blois et Chateaudun, en souvenir del'Abbaye Notre-Dame de l'Aumône ; ce document compile le résultat de minutieuses rechercher menées au XVIIIe et rassemblées par deux historiens du siècle des Lumières, M. l'Abbé BORDAS (1762), Curé de Bonneval, et Dom VERNINAC, Moine bénédictin.

Son histoire n'a pas été écrite parce que les documents font à peu près défaut : le cartulaire, le nécrologe et les autres monuments qui auraient pu nous éclairer ont tous été détruits pendant les guerres des Anglais, et le peu de titres qui avaient été épargnés alors furent presque tous brûlés par les Calvinistes au XVIe siècle. Aussi ne venons-nous pas faire l'histoire complète de cette abbaye : nous nous bornerons à quelques renseignements chronologiques fournis par plusieurs chartes qu'a recueillies D.VERNINAC. D'ailleurs les travaux de savant bénédictin, qui ont été prêtés à l'Abbé Bordas, seront notre seul guide et ils ne nous tromperont pas.

SEPT SIECLES D'HISTOIRE : 1121 - 1818

HISTOIRE RECONSTITUEE DE L'ABBAYE NOTRE-DAME DE L'AUMONE

Thibaut IV, comte de Champagne, fut le fondateur de l'abbaye de l'Aumône.
Malheureusement nous n'avons pu retrouver la charte de fondation : toutefois, si nous ajoutons foi à une vieille chronique reproduite par Angelo Manriquez, cela aurait eu lieu le 28 juin 1121.
Mais, d'après D. VERNINAC, « il ne parait pas que le reste de l'année 1121 soit suffisant pour construire un monastère de quelque importance, d'autant plus qu'une charte datée de l'année précédente suppose déjà que cette abbaye fut fondée ».
Ch. de Visch, veut que la fondation ait eu lieu en 1120 En effet, dans le cartulaire de Bourg-Moyen se trouve une charte importante par laquelle les chanoines de Saint-Calais du château de Blois cèdent aux religieux de l'Aumône la dime sur leurs jardins, leurs vignes, et sur deux charrues de terre dans la forêt appelée "Silvalonia in qua illud est constructum cenoblum". En outre ces mêmes religieux pouvaient recevoir des paysans pour cultiver leurs terres ou pour garder leurs porcs, et ces animaux devaient être exempts de toutes sortes de dîmes.
Cette concession leur est accordée volontairement et avec bonheur par les chanoines, pour le rachat de leurs âmes et de celles de leurs parents (Charte I) Cette même pièce donne donc à entendre qu'à cette époque (1120) le monastère était déjà construit, et qu'il s'est glissé une erreur dans la chronique des Annales cisterciennes. Nous y lisons encore que le comte Thibaut fut charmé et réjoui de cette marque de bienveillance envers ces nouveaux religieux.. Du reste, ils étaient conduits par un homme d'une grande piété et d'une vertu remarquable.

Étienne II, abbé de Cîteaux, connaissant l'amour sincère du comte pour les moines, l'avait sollicité d'établir une maison de son ordre dans le diocèse de Chartres qui n'en possédait pas, et l'abbé lui-même vint en personne assister à cette fondation que bénit à son tour l'évêque de Chartres. A la nouvelle de son arrivée, les religieux voisins s'empressèrent de contribuer à l'établissement de l'Aumône, et c'est à cette bienveillance que nous devons la première charte connue en faveur de ce monastère.

L'abbaye fut construite sur un alleu du comte Thibaut : Le lieu même où se fit cette pieuse fondation s'appelait l'Aumône. Peut- être, dit Dom VERNINAC, était-ce un vieux château qui portait ce nom et qui était situé à l'entrée de la forêt. Dans le cartulaire de Vendôme on voit des chevaliers du XIe siècle avec le titre de chevaliers de l'Aumône. Cette désignation resta à l'abbaye jusqu'à ce que sa célébrité lui ait fait donner le nom de "Petit-Cîteaux," sous lequel elle est plus connue, surtout depuis environ trois cents ans.

A l'exemple de Thibaut les seigneurs et les nobles du pays se firent une gloire d'enrichir cette colonie naissante de cisterciens, dont la vie angélique charmait tous ceux qui en étaient témoins.
Citons, entre autres bienfaiteurs, les comtes et comtesses de Blois, les vicomtes de Châteaudun, les sires de Meslay, de Chartres, d'Orléans, du Plessis, de Beauvilliers.
Les abbayes voisines ne se montrèrent pas jalouses des privilèges accordés à l'Aumône par les papes, et même elles contribuèrent à augmenter ses possessions. Aussi les religieux du Petit-Cîteaux vécurent-ils en bonne intelligence avec les abbés de Pontlevoy, Vendôme, de Bourg-Moyen, de Beaugency, de Tyron et de Bonneval, et c'est à peine si nous avons trouvé quelques actes constatant des différends entre l'une ou l'autre de ces maisons et les abbés de l'Aumône.
Les moines eurent toujours une conduite irréprochable, et, jusqu'aux dernières années de l'abbaye, ils suivirent fidèlement leur règle, pratiquant la charité pour ne pas déroger au beau nom qui avait été donné à leur maison.

L'abbaye jouissait de plusieurs privilèges : Les terres étaient exemptes de dîmes, et le pape Alexandre III avait déclaré l'enclos de l'Aumône impénétrable et inviolable sous peine d'excommunication.

Au mois d'août 1257, saint Louis ordonnait que les religieux jouiraient paisiblement de tous les biens qui leur avaient été donnés en pure et perpétuelle aumône et faisait défense expresse à toutes personnes, laïques ou religieuses, de les troubler ou de les inquiéter. servant à inscrire les rentes dues à l'abbaye faisaient preuve en justice et tenaient lieu de titres, suivant les lettres patentes du roi Charles IX, en date du 25 octobre 1568.
L'abbé, dans son église ou dans les églises qui étaient sous sa juridiction, pouvait officier avec la mitre, la crosse, l'anneau et les autres ornements épiscopaux : ce privilège lui fut obtenu du pape Calixte III par le cardinal Alain.
Enfin, comme toutes les abbayes de Cîteaux, l'Aumône était sous l'invocation de la Sainte Vierge et avait un sceau spécial sur lequel on lisait : "Sigillum abbat. B. M. d'Elemosyna"

SceauAbbaye1381aSceau de l'abbaye ND de l'Aumone conservé à la Monnaie de Paris - 1385           sceau abbe1225aSceau de l'Abbé de ND de l'Aumône, conservé à la Monnaie de Parie - 1225

Nous n'avons pas besoin de parler de l'église conventuelle où beaucoup de seigneurs avaient choisi leur sépulture, ni des bâtiments claustraux qui virent ces moines cisterciens pendant plus de six cents ans ; une monographie publiée en 1877 dans les Actes de la Société Dunoise donne des détails, fort intéressants sur ces lieux, comme aussi sur les possessions de l'abbaye. M. l'abbé Mouzé décrit avec amour les derniers moments de l'Aumône et les phases extrêmes de son existence. On lira surtout, parmi les charges claustrales, celle qui concerne l'instruction : on y verra que l'abbaye dépensait 300 livres pour « entretenir un religieux aux études ou pour un précepteur dans l'abbaye, afin d'enseigner les jeunes religieux ».

Nous avons trouvé le nom de l'Aumône dans plusieurs rouleaux mortuaires, avec cette mention : "Conventus dnae Mariae de Eleemosyna" - rouleaux de Bertrand de Baux, vers 1181, Rouleau de Haidé, abbesse de Saint-Amand de Rouen, 1225 Rouleau à Marie de Noyers, abbesse de Montivilliers, 26 Décembre 1398.

En terminant cette notice, nous nous faisons un devoir de signaler un remarquable manuscrit, appartenant à notre savant collègue M. de La Valiere, de Blois, où nous avons puisé une foule de documents vainement cherchés ailleurs.
Il a pour titre : « Extraits de l'inventaire raisonné de titres et papiers de l'Abbaye de l'Aumône, dit Le Petit Cîteaux, en la paroisse de La Colombe, forêt de Marchenoir », et comprend 188 pages grand in-4°.C'est de là que nous avons tiré la liste de tous les biens que possédait en l'année 1792. Que M. de la Valliere reçoive nos sincères remerciements.

CONCLUSION

Tels sont les renseignements que nous a fournis en grande partie Dom Verninac sur cette abbaye de l'Aumône, dont le souvenir ne doit pas se perdre.
Puissent ces quelques lignes la sauver de l'oubli !

« Extincta revivisco » (devise ancienne de Chateaudun : « éteinte, elle renaît »).

CH. CUISSARD