L'expansion cistercienne sur l'Europe fut inconcevable ; tous les pays de l'actuelle Union Européenne gardent trace des ces abbayes construites au plus profond de leur solitude, dans un style extrêmement dépouillé et pur, dont Saint Bernard fut le grand ordonnateur. Toutes nos régions gardent témoignage de ces abbayes, désormais détenues par des collectivités territoriales, dont elles constituent des trésors visités par une foule de touristes en quête de leurs racines et de leur histoire.
L’architecture
Les abbayes cisterciennes se distinguent initialement par la simplicité et la sobriété de l'architecture et des ornements. En 1134, le Chapitre général prescrit une série de mesures concernant l'art sacré, les lieux saints ne devant recevoir aucun décor sculpté ou orné. La couleur doit être réservée aux enluminures.
Les abbayes cisterciennes connaissent l'évolution de l'architecture romane vers le gothique (arc brisé) et se caractérisent par un grand dépouillement des lignes et de la décoration. Les "oculi" des abbatiales reçoivent des vitres blanches sans croix et sans couleurs. Aux tympans des portails et aux chapiteaux des églises, pas de sculptures car rien ne doit détourner la pensée de l'idée de Dieu.
Le Chapitre général de 1135, sous l'influence de Bernard de Clairvaux, est très directif sur les contraintes architecturales : il s'agit de traduire la Règle bénédictine dans l'espace. On doit respecter le carré monastique (le cloître issu de la Villa romaine). Les architectes cisterciens bâtissent leur plan sur des considérations fonctionnelles liées aux aménagements hydrauliques, la lumière ou les matériaux disponibles dans la région, mais en respectant les recommandations de Bernard de Clairvaux qui a défini les bâtiments nécessaires pour servir Dieu selon la Règle : l'oratoire, le réfectoire, le dortoir, l'hôtellerie et la porterie.
Au XIIe le roman a atteint sa maturité mais, à partir de la seconde moitié du siècle, les cisterciens vont commencer la transition vers le gothique. Les maîtres d’œuvre cisterciens doivent concilier les exigences de construction en pierre pour limiter les risques d'incendie, de constructions élevées et lumineuses (en accord avec leur spiritualité), sans augmenter démesurément le coût des chantiers. La croisée d'ogive permet de répondre à ce triple défi : moins consommatrice en pierre que la voûte romane, elle en augmente la hauteur.
Le succès financier de l'ordre entraîne une multiplication des chantiers et les bâtiments conventuels commencent à recevoir des ornements de plus en plus nombreux. Dès les années 1170, les principaux couvents reçoivent des parures et parfois s'agrandissent d'un déambulatoire. Les vitraux et les pavements se font plus luxueux. Les bâtiments gagnent en verticalité. L'art cistercien trouve un prolongement au XIIe siècle dans l'art des cathédrales, comme en témoigne le chantier de la cathédrale de Laon.
Les vitraux
En 1150, une ordonnance stipule que les vitraux doivent être « ''albae fiant, et sine crucibus et pricturis'' », blancs, sans croix ni représentations. Motifs géométriques et végétaux sont les seules représentations : palmettes, résilles, entrelacements qui peuvent rappeler l'exigence de régularité prônée par saint Bernard. Ainsi jusqu'au milieu du XIIIe siècle, les vitraux cisterciens sont exclusivement des verrières dites « en grisaille » dont les motifs s'inspirent de pavements romans. Les vitraux blancs dominent ; moins coûteux, ils correspondent aussi à un usage métaphorique comme certains ornements végétaux. Les abbayes La Bénisson-Dieu, Obazine (aujourd'hui Aubazine, en Corrèze), de Santes Creus (Catalogne), de Pontigny et de Bonlieu sont représentatives de ce style et de ces techniques. Des fours à verres sont présents dans le temporel des cisterciens dès le XIIIe siècle.
L'apparition du verre figuré décoratif dans les églises cisterciennes coïncide avec le développement du mécénat et des donations aristocratiques. Au XVe siècle, le vitrail cistercien perd sa spécificité et rejoint par son aspect les créations de la plupart des édifices religieux contemporains.
Les carreaux
Pour les monastères cisterciens qui vivent en relative autarcie, l’usage des carreaux d’argile, plutôt que de dallages en pierre ou en marbre s’impose. Les moines blancs développent une grande maîtrise de ce procédé, d’autant qu’ils sont capables de les fabriquer en masse grâce à leurs fours. Des carreaux à motifs géométriques apparaissent à la fin du XIIe siècle. Les décorations sont obtenues par estampage : sur l’argile encore malléable, on appose un tampon de bois qui imprime en creux le motif. Sur le relief en creux on appose une barbotine d’argile blanche et le carreau est soumis à une première cuisson. Un revêtement vitrifiable est ensuite apposé. Il protège le carreau et rehausse les couleurs.
L’assemblage des carreaux permet d’obtenir des combinaisons complexes de motifs géométriques. Celles-ci ont parfois jugées trop esthétiques vis-à-vis des préceptes de simplicité et de dépouillement de l’ordre. En 1205, l’abbé de Pontigny est condamné par le Chapitre général pour avoir réalisé des parements trop somptueux. En 1210, l’abbé de Beauclerc se voit reprocher d’avoir laissé ses moines perdre leur temps à réaliser un pavement « trahissant un degré non convenable d’insouciance et d’intérêt curieux ».
L'art cistercien est en accord avec leur spiritualité : il doit être une aide pour le cheminement intérieur des moines. En 1134, lors d'une réunion du Chapitre général de l'ordre, Bernard de Clairvaux qui est au sommet de son influence, recommande la simplicité dans toutes les expressions de l'art. Dès lors, les cisterciens vont développer un art dépouillé et souvent monochrome.